Neuvième Etape

le poste de la Roche Ecrite est vraiment placé au raz de la falaise. La grande tente carrée blanche n'est qu'a quelques centimètres du précipice. Cela me surprend , car en cas de grosse rafale, elle pourrait basculer dans le vide, j'espére que les quelques raiders épuisés qui s'y reposent n'ont pas de craintes.

Un feu avec de belles flammes crépite. Je mange un peu de ce que je trouve sur le stand, et un peu tiré de mon sac, tout à coté de ce feu. Cela permet de se réchauffer, car après l'effort, et avec l'humidité et la sueur accumulées, tous les arrivants ont froid. L'un d'eux quitte son tee-shirt , et le suspend avec une branche au dessus du feu, pour le faire sécher. Mais à moins de le faire brûler en le rapprochant trop de la flamme, il aura tout au plus un habit tiédi à se mettre sur le dos.

Je repars avec un jeune gars, auquel il semble rester plus d'énergie que moi , alors que la nuit est déjà tombée déjà à moitié.

Peu de temps après, à mi distance de l'embranchement du sommet de la Roche Ecrite , la nuit devient très sombre et il faut sortir les lampes.

Malheur, le jeune gars ne trouve pas la sienne; Je stoppe et attend tranquillement qu'il la trouve. Je reste bien là , complaisamment et amicalement au moins 10 minutes , à l'éclairer avec ma torche , pendant qu'il fouille son sac , puis le vide , le re-vide , etc … Et il oubliera de m'en remercier ( ah ! cette jeunesse , ce n'est plus éduqué comme autrefois ! La politesse et les bonnes manières disparaissent ! ).

Pour sa lampe frontale, il croit finalement l'avoir oubliée au poste précédent, que l'on vient de quitter il y a 1/2 heure. Maintenant il cherche sa petite lampe de secours "qu'il était sur d'avoir" .

Entre-temps, deux autres randonneurs nous atteignent , et nous consacrent quelques secondes.

La halte commençant à devenir longuette, et sentant que les 2 nouveaux ne vont pas s'attarder ici, je lui renouvelle avec insistance les conseils que la logique et le bon sens imposent :

Mais le temps qu'il se décide, qu'il remballe son matériel , les deux autres lascars se sont éclipsés. Je peste silencieusement contre ces deux types si peu serviables et si peu enclins à l'entraide, comme quoi faire le Grand Raid n'est pas un certificat de bonnes mœurs ! Je peste aussi contre mon jeune acolyte et l'invite à se "grouiller".

Tout à coup il retrouve sa petite lampe de secours , et nous repartons. Mais je me sens fatigué, mon pas se fait pesant , mes pieds me font mal sur les pierres acérées du chemin. A une encablure du Gîte , le jeune me largue et me laisse tomber, sans autre préoccupation de sa part. Je continue seul à petits pas tranquilles ; le chemin pour atteindre le gîte me semble beaucoup plus long que lors de notre sortie d'entraînement du LUNDI précédent. Enfin la zone herbeuse et la lumière blafarde du poste des CHICOTS apparaissent, le tout précédé par les fameuses bandes plastiques SALOMON qui borde comme à de nombreux endroits le chemin pour le baliser.

Pointage à l'extérieur, dans un couloir en plein air et plein vent ( un bâche au dessus ), avec une table ou je prend vite fait une bonne soupe chaude. Ici comme aux autres postes, j'essaie de m'informer du passage de MATTHIEU : après 5 mn de recherche dans les listings , je vois que mon fils est passé depuis belle lurette, et qu'il a peut être terminé à cette heure ci. Trois raisons m'invitent à séjourner ici : je suis bien fatigué, j'ai de la marge pour boucler le raid, et je ne veux pas passer une nuit entière à marcher. Hélas, il n'y a pas de dortoir , et la pièce principale du gîte est déjà remplie de dormeurs allongés pèle mêle à même le sol, à tel point que les dames font leur cuisine avec des dormeurs à leur pied ! Par chance, le toubib du coin me propose d'aller dormir dans la chambre qui lui est réservée ( ou il a stocké son matériel médical) : chambre classique d'un refuge de montage avec 8 lits superposés. Il m'en libère un , et je m'y allonge. Il a la gentillesse de me demander à quelle heure je veux qu'il me réveille ! Puis 1/2 heure plus tard , voici un deuxième candidat pour occuper un autre lit de la chambrette. Il s'agit en fait d'une candidate : après avoir échangé quelques mots avec elle, et lui avoir passé de l'aspirine ( si ma mémoire est bonne) , une connivence s'établit et nous décidons de nous lever à la même heure , soit à 2H du matin. J'ai bien une montre avec alarme, mais je n'ai aucune chance de l'entendre ( car ma femme prétend que je suis un peu sourd ) ; par contre ma voisine ( nommons la : Sylvie DELACOUR ) m'assure qu'elle a l'oreille légère et qu'elle sera réveillée par sa montre à elle. Je lui fait confiance, et nous voilà pour quelques heures dans un sommeil réparateur, ou une grosse somnolence. Plusieurs autres raiders sont venus dans les minutes suivantes occuper les places restantes. Quand nous nous réveillons à 2H du matin , la pièce est pleine, deux autres personnes sont allongées à même le sol, et il faut faire attention de ne pas leur marcher dessus, et ne pas les viser avec nos lampes.

La demoiselle Sylvie est moins rapide que moi pour boucler son sac, prendre un verre chaud de café ou de chocolat, et se pointer au départ (et pourtant, pas question de se faire une beauté, je ne crois pas me souvenir qu'il y ai eu un simple robinet pour se passer un peu d'eau sur le visage ). Je patiente quelques minutes à l'extérieur sous le auvent , ou je trouve trois raiders complètement blafards, assis comme des momies sur un banc , enveloppés dans leurs capes de pluie ; comme s'ils tentaient de dormir l'œil ouvert , mais dans le froid humide de l'extérieur , brrrrrr !! D'ailleurs, à l'intérieur, c'est encore plus bondé que la veille.

Enfin, nous démarrons vers 2h30 , et rejoignons immédiatement un couple qui semble s'être un peu égaré à travers le VRAI GITE OFFICIEL ( qui se trouve quelques 2 ou 3 cent mètres plus bas que le poste du raid ) et que l'on traverse en partie pour bifurquer vers la droite en direction de DOS d'ANE. Comme j'avais fait, pendant le Week-End précédent ce parcours avec Matthieu , je me souvenais du problème.

Je prend la tête de ce groupe de quatre , car mon tonus semble un peu meilleur que celui de mes compagnons. Et il faut dire que la nuit est enveloppée dans la brume , ce qui rend la vision très floue et imprécise.

Or je dispose d'une lampe "OSRAM" à tube fluorescent , tenue à main basse , qui diffuse un large cône de lumière douce qui met bien en relief les aspérités du terrain, en particulier toutes les racines d'arbres qui serpentent dans le sentier, et qui sont autant de "casse gueule" !

Par comparaison, les lampes "Frontales" sont inefficaces et dangereuses, car elles donnent un spot étroit qui illumine la brume sans atteindre la sol, ce qui fait qu'on ne devine même pas le relief et les obstacles ( pierres, racines, marches, etc …). Donc en marchant à la queue leu leu derrière moi, les autres sont sécurisés.

Sur ce , la lampe de Sylvie faiblit rapidement et l'on s'arrête pour lui permettre de changer de pile : j'apprend un chose amusante , cette fille aurait un "magnétisme" qui use les piles à toute vitesse ! Et elle a toute une réserve de piles. Une petite heure plus loin , sa lampe est a nouveau usée , et la mienne aussi ( entre parenthèse, la lampe OSRAM , c'est bien , mais ça consomme beaucoup plus que la notice le laisse croire en prétendant qu'elle est "économique" , en fait en regardant le lendemain , je pense qu'elle consomme au moins deux fois plus de courant qu'une ampoule ordinaire ). Elle me passe des piles ( merci Sylvie ) , et en échange je lui passe ma lampe frontale ( merci Guy ) , pour voir si par hasard son "magnétisme" destructeur de piles fonctionne aussi sur mon matériel (des fois que ce serait une histoire de YIN et de YANG ).

Cette portion du parcours est pénible car c'est une succession de petites montées raides et d'autant de petites descentes , style montagne russes. L'intérêt est que nous longeons à raz le flanc du cirque de MAFATE, et nous apercevons tout en bas , au fond , des lumières vives , ce qui est tout à fait inhabituel. En scrutant bien , je distingue comme un chantier de travaux publics. La folie bétonneuse serait elle en train de construire une route d'accés au cirque , quelle horreur pour les amoureux de la nature et de la solitude de ce cirque ! Plus tard , après quelques conversations, j'en déduirais qu'il s'agit des travaux de "Basculement des Eaux d'Est en Ouest" , à savoir le captage des eaux du Bras de Ste Suzanne. Le sentier devient aérien, sur une sorte de Coteau Maigre . Tout à coup, toujours dans la nuit sombre, vingt mètres devant moi ( je suis toujours le premier) quelque chose brille dans le cône lumineux de ma lampe. Ca scintille , avec des reflets comme du diamant. Pendant une fraction de seconde, j'imagine un météorite incrusté de diamants qui serait tombé pile dans le chemin. Un fois sur l'objet, sur lequel je bute presque, nous constatons qu'il s'agit , vous ne le croirez pas, d'un raider allongé à même le sol , enveloppé dans sa couverture de survie aluminisée scintillante , dans l'axe du sentier qui ne fait que 1/2 mètre de large , avec à gauche la falaise du cirque, à droite une pente abrupte vers la plaine d'Affouches. Incroyable , non ??

Et le mec ne bronche pas d'un pouce pendant que nous passons en le frôlant. Et le plus rigolo, c'est que moins de 100 mètres plus loin , c'est le tout petit poste n°17B "Bifurcation DOS d'ANE" ou nous ne nous arrêtons que quelques secondes , en échangeant quelques mots avec le tenancier des lieux. Il dispose d'un tout petit abri ou reposent bien sur quelques concurrents épuisés. Mais je me dis aussi que ce lieu est finalement un coin idéal pour un dernier repos avant l'étape ultime, pour ceux qui aiment dormir à moitié en plein air, dans la fraîcheur et loin des salles surpeuplées.

Je repars avec Sylvie , qui commence revivre d'autant plus que l'aube s'annonce à poindre et que le chemin serpente à plat en bordure de Dos d'ANE , dans un espace bien dégagé. Nous abandonnons nos deux compagnons qui veulent probablement rester à ce poste plus longtemps.

Après ce plat , dernière montée assez raide du Piton FOUGERE , puis ce sera la longue descente ininterrompue sur 20 kms vers ST DENIS et la mer. Quelques gouttes tombent , mais il a dû sérieusement pleuvoir la veille , car le chemin est un magnifique boulevard de terre glaiseuse et rouge. Vous mettez les pieds dans une boue épaisse et tellement collante que finalement ça ne glisse pas beaucoup , mais vous avez des semelles de plomb. Et gare, car quelquefois au moment ou l'on est trop en confiance, ça se met à glisser soudainement, sur une pierre plate ou un fragment plus pentu. Et vlan , vous voilà sur le cul , avec un beau short qui emporte des souvenirs. Que celui qui n'a pas dérapé dans cette colle me lance la première boulette de terre.

Puis une descente abrupte, très glissante et dangereuses avec des pierres traîtresses , nous mène en quelques instants au poste n° 18 "RF Affouches" ou nous accueillent des gens hyper serviables. Une premièere dame veut absolument nous servir du chocolat chaud. Sylvie profite de l'ambiance chaleureuse pour se mettre un sparadrap sur les pieds. Puis un monsieur s'enquiert si l'on a besoin de quelque chose, et insiste car comme il n'y a plus beaucoup de passants, je sens qu'il cherche à se rendre utile ; alors je lui commande un autre gobelet de chocolat bouillant qu'il s'empresse d'aller préparer. Ce poste est encaissé au creux de la route , entre deux collines. Un pâle rayon de soleil nous réchauffe et nous quittons ces personnes aimables par un bout de route, puis à nouveau un sentier boueux en pente douce qui nous amène sur la plateforme du COLORADO. C'est une immense plaine de jeu herbeuse, presque déserte à cette heure ci , sauf quelques VTT . Le poste de contrôle est installé dans un angle du Kiosque, nous y pointons puis repartons par un large chemin , comme un boulevard du parc de Versailles. Deux VTT nous doublent , et à l'embranchement à droite , c'est à mon tour de stopper un instant pour mettre mes pieds à l'air et constater la naissance d'une ampoule. Sylvie me sort alors de son sac un super machin ayant un aspect gélatineux comme une méduse ; il faut le réchauffer en le frottant dans ses doigts , puis l'appliquer sur l'ampoule. Ca se colle sur la peau , et expérience faite , c'est très efficace , mais le prix est paraît il élevé ( j'ai entendu dire que c'était environ 20 FR par pansement ! ). Je ne me souviens plus du nom de ce bidule ?

A partir de là , Sylvie met le carbu à fond, on dirait qu'elle est attirée par l'étable. A l'approche de St Denis, il se met à pleuvoir pour de bon , mais avec de petites accalmies. La descente devient plus abrupte, le chemin se transforme en un amoncellement de gros blocs pierreux et TRES GLISSANTS. J'essai d'être très prudent, car il serait idiot de se casser quelque chose à une heure de l'arrivée. Mais Sylvie gambade allégrement et j'ai de la peine à la suivre, mais c'est agréable quand même d'avoir quelqu'un qui vous tire en avant. Nous doublons quelques mecs qui se traînent péniblement, dont un tout noir de boue. Car la zone est maintenant de la terre noire très glissante et mouillée. Inversement un ou deux mecs nous doublent , car on sent qu'il en ont marre et veullent finir au plus vite, quitte à prendre quelques risques. C'est là , au moment ou je m'y attend le moins, que mettant le pied sur une grosse roche en pente , vroum , valdingue , tout schluss jusqu'en bas ou je me retrouve sur les fesses dans une mare de boue. Rien de cassé, car béni soit le sac à dos, bien garni de vêtements, qui amorti et protège le bas des reins. Je repars avec un souvenir , à travers une végétation de plus en plus dénudée , et tout un pan de montagne calciné et noirci par le feu.

De St Denis ou nous étions auparavant, j'avais en vain tenté de voir, y compris à la jumelle, le tracé du sentier qui abouti ici. Mais impossible de le localiser. Et pourtant il existe bel et bien ; il rejoint une des épingles à cheveux de la route de LA MONTAGNE , la 4-ième je crois ( côte 237 sur ma carte IGN au 25000/1)

Il descend ensuite en biais par rapport à cette route, passe sous de grosses canalisations d'eau, puis dans une zone épouvantable ( une horrible décharge sauvage pestilentielle ) , puis tout à coup on rejoint et passons sous la nouvelle Rocade SUD. C'est là, au bas d'un talus , que nous attend par surprise une jolie caméra woman de la TV locale. Si Sylvie est très présentable, moi qui randonne torse nu ( car je transpire beaucoup et je trouve cela très pratique ) , me voilà surpris dans ma tenue "à poil" et effectivement je passerais quelques secondes à la TV du soir ( honte à la famille comme dirait ma femme ) ; me voilà forçé de me rhabiller en vitesse en enfilant un tee-shirt , ceci en marchant car ma compagne d'un moment prend des ailes. Puis les 300 m le long de la route bordée de banderolles , la traversée de la route , l'entrée du STADE ou une dizaine de supporters scandent des encouragements. Et ce que j'aurai cru incapable de faire , et bien on le fait à deux , ensemble, on se met à courir , et avec une foulée très sportive, le sac à dos brinquebalant à l'arrière, nous tournons les 2/3 du stade à vive allure , sous les hourra de la foule ( comme pour tous les raiders , merci ! ) , et nous franchissons la ligne d'arrivée main dans la main , levées en victoire , la photo en fait foi. Mais le chronométreur est certainement un galant homme, car il a crédité Sylvie de 9 secondes d'avance sur moi.

FIN DU RAID , NOUS SOMMES ARRIVES SAINS ET SAUFS !